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La petite anarchiste qui payait ses impôts

Édito publié le 10 mai 2018

GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 6
.

D’aussi loin que je me rappelle, j’ai tressé ma vie de douce dissidence et de conformisme. Sommeille en moi une petite anarchiste qui paie religieusement ses impôts. Adolescente, je « skippais » parfois les cours… espérant que l’enseignant ne le prenne pas personnel. Je suis allée à mon bal de finissants en bottes à cap… dissimulées sous une robe qui rendrait fiers mes parents.

J’ai toujours été une jeune femme à l’esprit rebelle qui, dans les faits, obéit plus vite aux conventions que la salive du chien de Pavlov au son de la cloche. Je dois me composer un mantra intérieur pour me rappeler que j’ai le droit de marcher dans la rue pendant la vente-trottoir. 

J’imagine que réside un certain confort dans le conformisme. On s’y sent en sécurité, ça rassure notre besoin de ne pas déplaire. Le jingle du conformisme devrait être la chanson-thème de Salut Bonjour! et son produit dérivé, quelque chose de « toujours pratique » selon le Magazine à Véro. 

Embrasser son unicité a un prix. C’est d’assumer d’être cantonné dans le rôle de la politicienne à moustache, celui de la lesbienne au corps atypique qui turlutte ou encore celui d’absurdes bonhommes bruns avec barbe et dents qui rendent hommage à Pythagore et sa célèbre hypoténuse. 

Personne ne veut être jugé mais tout le monde a des préjugés. J’ai les miens: Je juge les projets portés uniquement portés par des hommes blancs, mais aussi ceux qui forcent la diversité et puent la bonne conscience utilitaire. Je juge les personnes sédentaires mais également celles qui s’entraînent plus que ce que JE décrète acceptable. Je juge les gens qui consomment du Tim Hortons quotidiennement ainsi que le Tim Hortons de façon générale. Puis, les parents qui ne font pas vacciner leurs enfants, les « trop fiers » de ne pas posséder de télé, le premier gars que je vois en t-shirt au printemps, les consommateurs de « tout inclus » et les propriétaires de pick-up (sauf quand j’ai besoin d’en emprunter un).

En fait, nos jugements nous permettent de valider nos propres idées, nous gardent de la dissonance cognitive. Comment cette personne avec qui j’ai comme seul point commun la respiration pulmonaire ne peut-elle pas faire fausse route? Traiter cet autre de grano et d’extrémiste m’autorise à continuer, comme chantaient les Vulgaires Machins, à décâlisser la planète, décrisser Mars avec. Je juge donc, j’entérine qui je suis.

On a longtemps vogué dans une pensée binaire et manichéenne. L’architecture participative et décentralisée des nouveaux médias vient faire rupture avec nos bons vieux médias de masse, gardien d’une forme de consensus poussé par la cime. On assiste maintenant à une montée de l’individualisme en réseau. Ce qui signifie, notamment et, théoriquement, que les opprimés, les marginaux, les exclus ont la chance de s’organiser et avoir, eux aussi, leur voix au chapitre. 

C’est l’éclatement des idées. Circule maintenant une masse de nouvelles propositions divergentes, complémentaires ou convergentes à juger. Fak, faudra bien commencer à se le pomper notre muscle à pas se sentir menacé par la différence… L’acceptation de l’autre est une longue marche.

Crédit photo: Marie-Claude Robert