GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 14.
« En français s’il vous plaît! » avait-il lancé au groupe en prestation comme s’il dictait la commande à un système téléphonique automatisé. Or please press 9! Je n’étais pas présente à ce concert de Groenland mais je suis convaincue qu’on pouvait y entendre les yeux des témoins rouler pendant les secondes qui ont suivi le commentaire de l’empereur médiatique.
Je n’ai jamais douté de la nécessité de mettre en place des remparts institutionnels pour préserver notre magnifique langue mais j’ai toujours pensé que l’art devait demeurer un espace de liberté entière.
Déjà au secondaire, ça me « gossait » qu’il y ait des quotas de musique franco à la radio étudiante. D’autant plus que la pauvreté de la discographie de la Poly faisait en sorte que les « Frères à Ch’val » volaient beaucoup trop de place dans notre quotidien d’ados qui vibraient à autre chose qu’au néo-reggae de Polo.
Qui sait si cet emprisonnement audio ne faisait pas même reculer la cause?
Ceci dit, si je ne vois pas le choix de la langue de création comme un problème, je trouve quand même insolite qu’un musicien de Ste-Germaine ou de Baie-Comeau décide de chanter la langue de Nickelback. De façon approximative de surcroît.
Ce choix anthropologiquement cocasse mais certainement légitime est symptomatique d’un enjeu d’une impressionnante vastitude; Les nouvelles générations perçoivent la langue comme un outil d’expression personnel et dépolitisé. Elles souhaitent s’affranchir à la fois des frontières géopolitiques de leur monde et des angoisses linguistiques de leurs prédécesseurs.
Toutefois, les militants passifs et immobiles issus de la « Hiérarchill » chantée par Jérôme 50, doivent se rappeler que si la variété québécoise du français est si belle et vivante, c’est parce qu’il y a des gens avant eux qui ont posé des gestes pour la protéger.
Ils nous ont livré un bouclier au Québec, la 101, qui encaisse les chocs à grands coups d’amendements, pour s’assurer que le français demeure la langue commune de notre vie collective. Spécifiquement dans les régions où on admire parfois les personnes bilingues autant que les astronautes, on réalise pas toujours l’importance de ce grand legs législatif.
Le danger, c’est pas spécifiquement l’anglais mais plutôt l’imposition tranquille d’une langue unique au nom de la mondialisation, et parfois, hypocritement, sous le couvert de l’ouverture à l’autre. Objectivement, je pense que notre écosystème global a davantage besoin d’être enrichi de la diversité des cultures que Lady Gaga a besoin de notre ouverture.
Pierre Bourgault disait: « Quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule. » En effet, le maudit vent de l’américanisation, on l’a tous dans la face et ce, au risque ultime de phagocyter notre culture en un mélange qui goûterait probablement l’aspartame, le glutamate et la Red Hot.
Il ne faut tout de même pas vivre le français comme une prison. On a droit comme locuteur de la jazzer notre langue, elle nous appartient.
C’est pas non plus le franglais qui menace le français mais bien le purisme, comme le dit si bien Anne-Marie Beaudoin-Bégin, mieux connue sous le nom de L’insolente linguiste. Il faut laisser entrer l’air dans la langue, la faire rayonner sous toutes ses variations, se raccommoder avec son évolution plutôt que de la garder sous une cloche de verre.
La spécialiste du langage nous invite aussi à cesser immédiatement de rabaisser publiquement les personnes qui font des fautes. En faisant ça, on renforcerait l’idée que le français, c’est trop compliqué, exacerbant du même coup l’insécurité des Québécois face à leur langue.
Bien que je sois d’accord avec l’idée de se donner un peu de lousse en matière linguistique, je pense que renoncer à bien manier sa langue, c’est se priver d’un outil d’une immense puissance. Puis, il y a-t-il vraiment quelque chose de plus sexy qu’une personne qui différencie ses homophones?
Crédit photo: Marie-Claude Robert