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Le féminisme, c’est pas un «e» entre parenthèses

Édito publié le 14 novembre 2017

GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 3
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Dans ce monde, on devrait accorder plus de temps à comprendre l’intention d’autrui plutôt qu’à prétendre tout en savoir d’avance. Enfermés dans nos paradigmes, tributaires de la façon dont notre « fillage » a été passé, on attribue le fardeau de la preuve à l’autre, dans de perpétuels procès d’intention. Pourquoi sommes-nous si prompts à jeter le discrédit sur une personne sans avoir toutes les données en main? J’imagine que c’est propre à notre statut d’humain. On n’a visiblement pas le luxe d’être droit comme un Vulcain. 

Par exemple, celui qui affirme GARDER ses propres enfants le formule généralement ainsi pour ne pas s’engluer dans les nuances, et traitera sûrement sa progéniture avec son amour et sa considération paternels habituels. Celui qui coupe quelqu’un en voiture n’est pas forcément un cave condescendant de marde; Il a peut-être mal analysé la situation, il est peut-être atteint d’une solide infection urinaire ou c’est peut-être effectivement un cave condescendant de marde. Celle qui dénonce le fait que l’espace public est encore dominé par les hommes n’est pas nécessairement une fémi-nazi qui souhaite supprimer le genre masculin; Elle a peut-être objectivement raison. Tandis que celui qui ouvre la porte à une femme ne cherche pas inéluctablement à l’infantiliser; il souhaite sans doute, sincèrement, être courtois et gentil avec elle.

Cette logique s’inverse: la personne qui se déclare féministe ne l’est pas simplement parce qu’elle l’affirme. Il faut réellement y croire, en porter les valeurs dans ses mots et ses gestes, ce qui n’est pas toujours une mince tâche. J’avoue moi-même me sentir un peu larguée quand on tombe dans les subtilités propres au mouvement comme le langage épicène, la notion de binarité ou encore le féminisme intersectionnel. Quand on s’engage dans ces zones, on retrouve parfois sur mon visage la même expression que celle que j’avais quand mon père m’a demandé si ma tondeuse était une deux ou une quatre temps. Le discours féministe peut parfois être aride et apparaître comme la chasse gardée d’une élite à la morale irréprochable alors qu’il devrait inspirer l’inclusion, l’accueil et la tolérance.

Je crois que l’arme principale de la lutte pour l’égalité devrait être ce qui est considéré comme l’une des grandes forces des femmes: l’empathie. Bien que je crois que le sexisme qu’on appelle « ordinaire » doit être débusqué et éliminé sans équivoque, j’avoue que j’arrive, en partie, à comprendre pourquoi il survit. Il est tellement ancré qu’on ne le voit plus. Il est dans nos paroles, dans nos comportements, dans la pub et même dans le coût de la vie. Ainsi, des hommes peuvent être sensibles aux valeurs féministes mais adopter des comportements de sexisme ordinaire, verser dans une forme de « mansplaining » sans s’en rendre compte. Tsé ceux qui t’appellent « fille »? Faudrait leur dire poliment d’arrêter ça.

C’est tout un écosystème qu’il faut modifier, à commencer par l’éducation de nos tout-petits, sans, bien sûr, faire peser sur leurs frêles épaules tout le poids d’un combat d’adultes. On brûlera pas demain matin tous les produits dérivés de la « Reine des neiges ». D’abord parce que ça générerait un feu historiquement polluant, mais également parce qu’il faut admettre qu’Anna et Elsa sont déjà pas mal moins « vedges » que la Belle au bois dormant.

Je pense que ça devient de plus en plus intégré que les petites devraient, comme les garçons, avoir voix au chapitre, avoir le droit de devenir ce qu’elles veulent. En contrepartie, si on indique à nos filles qu’elles peuvent faire comme les gars, ne devrait-on pas montrer aux garçons qu’il peuvent agir davantage comme les filles? Ne devrait-on pas leur présenter des modèles féminins forts, les encourager à développer des amitiés mixtes et valoriser l’expression de leurs émotions?

Dans notre société, on valorise autant l’émotivité masculine que les petites costaudes avec ben de la personnalité, c’est à dire pas pantoute. En effet, les femmes doivent lutter quotidiennement contre la tyrannie de l’apparence. Assumer sa féminité signifie parfois de voir son corps colonisé par des regards insistants qui semblent présumer que c’est le but recherché, qu’on est responsable de l’effet qu’elle génère. Il est bon de se rappeler que chaque femme a le droit le plus fondamental de faire ce qu’elle veut avec son corps, incluant y apposer un malheureux tatouage d’une phrase convenue plombée par une syntaxe déficiente.

Il en reste un bout à faire pour achever l’oeuvre du féminisme, n’est-ce pas? Je ne crois pas qu’on y arrivera si on se contente de garrocher des « e » entre parenthèses à la fin des mots. Faut que l’intention de changement soit sincère et profonde. Cette mise en garde s’applique aussi à la parité. J’espère, par exemple, que tous les partis politiques qui l’embrasseront oseront confier d’importants dossiers aux femmes de leur équipe parce que croyez-le ou non, nous sommes, les madames, capables de gérer nos menstruations et réfléchir en même temps. Faites-nous confiance. On peut assumer de grandes fonctions. Pis je lance une idée comme ça: pourquoi ne pas faire augmenter le salaire en corrélation avec le risque de se faire traiter de plotte?