GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 16
Je suis nostalgique de la fin mars, de ce bref espace-temps où on baignait dans une naïveté collective confortable et pratique, apaisé par la certitude que le plan était le bon. Vous vous souvenez de ce court intervalle où on se voyait fièrement, armé d’un esprit civique inébranlable, aplanir la courbe en deux semaines, juste le temps de maîtriser la fermentation du levain? Le p’tit, p’tit boutte avant qu’on découvre le Purell aux effluves gastriques, les châteaux de Plexiglass et où les adeptes du small talk pouvaient lâcher tout candidement un « On est tous dans l’même bateau! » sans s’faire rappeler plus ou moins brutalement la réalité des enfants en difficulté, des femmes violentées, des artistes et travailleurs autonomes, des personnes âgées isolées, des entrepreneurs précaires, des immunosupprimés, des hyponcondriaques ou encore des parents en télé-travail à la santé mentale qui s’égraine.
Je rends gloire à ce moment suspendu qui a fondu tendrement avec la dernière neige, nous laissant croire que l’humanité sortirait de tout ça plus forte, plus belle, plus permaculture-sans-écran-pleine-conscience. Ça été cute jusqu’à ce que ça s’étire assez longuement pour que la science devienne un argument parmi tant d’autres et que la marde pogne sur les réseaux sociaux. C’était plutôt prévisible. On a besoin de bien moins qu’une pandémie pour se découdre entre nous; un coton ouaté à l’Assemblée nationale pouvait faire parfaitement le travail! Depuis plusieurs semaines, on peut ainsi assister à un espèce de carnaval populaire où les idées s’entrechoquent dans les profondeurs abyssales de l’intolérance et du manque d’écoute. On y voit performer des gens qui, au lieu de s’expliquer, humilient ou somment en majuscules de FAIRE SES PROPRES RECHERCHES!
Comme dirait mon chum: « Kekchose de beau, là! ».
Internet nous a fait fantasmer d’une grande conversation sociale égalitaire qui élève mais s’y révèle plutôt une dégradation du discours public et une prolifération d’informations douteuses. Sur fond d’une dangereuse mouvance anti-intellectualiste qui dénigre élus et élites scientifiques, il semble désormais se dessiner une corrélation entre « lire en diagonale » et « durcir sa position ». En 2020, un titre tendancieux peut littéralement influencer l’opinion publique mais ce qu’il y a de plus saisissant encore, c’est de voir des gens s’exprimer avec véhémence sur ce sujet qu’ils maîtrisent parfaitement… approximativement! Il est à se méfier de cette tendance à vouloir avoir raison à tout prix parce que c’est généralement là que prennent racine les grandes dérives et les discours totalisants.
Bien souvent, on s’enferme dans une logique binaire ou c’est «pour ou contre», «avec ou sans», «Malajube ou Karkwa». Pourtant, s’il y a bien quelque chose dont on a besoin dans la crise inédite que l’on traverse actuellement, c’est de la nuance. Pour ceux qui se réclament du VRAI monde, la nuance, ça vise à embrouiller les consciences. Pour ajouter l’insulte à l’injure, la nuance est souvent détaillée avec le langage d’une élite universitaire, gauchiste et bien-pensante qui a pour passe-temps préféré de chercher des symboles d’oppression et d’appropriation culturelle dans les jouets pour enfants.
En fait, c’est le peuple la vraie victime qui vit un désastreux liberticide à cause de cette maudite rectitude politique qui l’empêche d’exprimer librement ses propos sexistes, homophobes ou racistes. « Esti, si on peut pu faire de blackface, ce sera quoi après? Liberté je crie ton nom partout! » Je pense qu’il n’est pas mauvais de se rappeler de temps à autre que la Charte des droits et libertés n’a jamais été un accessoire servant à réaliser des desseins égoïstes et dominateurs.
Y’a quelque chose de profondément dérangeant à voir des personnes se sentir menacées quand la justice sociale fait des gains. C’est totalement faux d’affirmer « qu’on ne peut plus rien dire ». La grande différence aujourd’hui, c’est que la parole est beaucoup moins hiérarchisée. Les nouveaux canaux font qu’on n’a plus besoin d’être un humoriste ou un membre du clergé pour se faire entendre. Maintenant, les opprimés, les marginaux et les animateurs de podcasts de région ont aussi une voix. Quand on se plaint de ne plus pouvoir rien dire, on est en train de se plaindre que ceux qui ne bénéficiaient d’aucune tribune à l’époque peuvent maintenant répondre. Pis quand on grogne qu’on peut pus rien faire, qu’on est brimé à cause d’la Covid, on expose notre incapacité à faire des sacrifices pour le bien commun. C’est ça la vérité. Ben, en-tout-cas, j’pense…
Crédit photo: Adama Productions
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