Sélectionner une page

Chacun dans son espace

Édito publié le 11 novembre 2020

GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 17

Des entreprises canadiennes ont accumulé un montant total record de 381 milliards de dollars l’an dernier dans les 12 principaux paradis fiscaux de la planète;

Pendant ce temps, ici, une internaute puise tout ce qu’elle a d’affirmation en elle pour « pas l’envoyer dire » à TVA ce qu’elle a pensé de la finale de Fugueuse; Elle a été également une figure très active dans la récolte des quelques 100 000 signatures de la pétition réclamant la Justice pour Maripier Morin. 

Les diagnostics d’anxiété, de dépression ou de troubles alimentaires chez les jeunes augmentent significativement chaque année;

Parallèlement, une féministe humilie publiquement cette autre qui a osé utiliser un vagin comme symbole de lutte au patriarcat. Elle la traite comme une honte pour le mouvement puisqu’elle a osé utiliser, sans trigger warning, un symbole pouvant s’avérer discriminatoire pour les personnes affligées d’organes reproducteurs masculins qui s’identifient plutôt comme femmes dans leur identité de genre. 

Les Autochtones sont victimes d’un génocide qui vise particulièrement les femmes, lit-on dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées;

Alors que, sur la même planète, ce Blanc d’Amérique prend visiblement une journée de congé pour répondre à chacun des commentaires qui touchent de près ou de loin le sujet du mot en « n ». Il défend avec virulence la liberté d’expression, un enjeu sur lequel on ne l’avait jamais entendu se prononcer avant aujourd’hui. 

*** 

Chaque jour, une somme faramineuse d’énergie est dépensée pour nous diviser, sur toutes sortes de sujets, sur lesquels nous sommes parfois même ironiquement d’accord. Si c’était possible, j’aimerais pouvoir récupérer toutes ces petites doses de carburant brûlées sur la téléréalité OD et les réinvestir dans les grands enjeux de notre époque plutôt qu’à, pour reprendre les mots de l’humoriste Marie-Eve Saucier, « être en tabarnak après des gens qu’on aura oublié dans trois mois ».

D’un côté du spectre, on a ces personnes qui s’embrasent et se révoltent à la moindre occasion, et à l’autre bout, y’a celles qui distribuent une indifférence également inébranlable entre la hausse du prix du P’tit Québec et le racisme systémique. Je remarque parallèlement qu’on assiste à une grande flambée de la popularité du self-care, une industrie milliardaire qui incite, principalement les femmes, à penser à elles et à matérialiser la valeur qu’elles se vouent par l’achat de pierres d’énergie et de mandalas. Évidemment que c’est important de prendre soin de sa personne, je ne dirai jamais le contraire, mais l’envers du self-care, à mon point de vue, c’est qu’il valorise, dans une certaine mesure, l’égoïsme en plus de la surconsommation! On ne peut pas passer ses temps libres à se baigner dans les vapeurs de lavande, d’orange et de menthe poivrée, à se gaver de jus pressés à froid détoxifiants, tout en laissant l’fardeau d’assurer un avenir à nos enfants dans la cour de Greta et Dominic Champagne. 

Qu’on le veuille ou non, on est tous les colocs de la même planète et on a une responsabilité envers celle-ci. Malheureusement, notre style de vie repose sur une utilisation abusive des ressources qui dépasse la capacité des écosystèmes à se renouveler. C’est un fait que tout le monde devrait intégrer, très consciemment. En ce moment, il y a beaucoup trop de colocs qui ramassent pas leurs cheveux dans le fond du bain et qui ne sentent pas concernés quand le drain est bouché. La métaphore s’arrête là parce que qu’il y a pas de p’tite vache ou de Drano assez puissant qui va empêcher l’humanité de se doucher les pieds dans l’eau tiède qui ne cesse de monter. 

Les communautés les plus solidaires sont les plus résilientes. Une étude citée dans l’essai « La Transition c’est maintenant » de Laure Waridel démontre que la participation active et soutenue de seulement 3,5 % de la population peut permettre de provoquer des changements de nature systémique. Aucune lutte n’est trop grande pour être affrontée collectivement, alors faudrait ben arrêter de se diviser entre gens de bonne volonté! Dans cette perspective, on aurait grand intérêt à adopter une culture transversale de l’inclusion. Je veux dire par là que ce serait bien qu’on valorise les voix des groupes marginalisés sur des sujets qui transcendent leur différence parce que oui, ils ont des avis pertinents sur autre chose que la diversité au Gala Artis.  

D’ailleurs, j’ai la conviction profonde que si on se donnait la chance d’inverser la tendance dans notre relation avec les Premiers Peuples et qu’on prenait une position d’apprenant auprès d’eux, on trouverait de grandes réponses aux maux de la modernité. Si on intégrait dans la culture occidentale une fraction du respect qu’ils ont pour les aînés et la nature, le monde serait bouleversé pour le mieux. Suzy Basile, qui vient tout juste d’être nommée titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, mentionnait ceci dans un article: « Dans la vision qu’ont les peuples autochtones de l’environnement, les humains ne sont pas au-dessus de la nature, il font partie d’un tout pour lequel on ne peut pas avoir la prétention de tout décider. »

Je pense que la meilleure façon de clore ce texte qui vise à présenter la solidarité comme un devoir social, c’est en se rappelant que ce concept qui pourrait apparaître progressiste et novateur est véhiculé à travers les savoir ancestraux autochtones depuis des millénaires. Le jour où on arrivera à leur niveau en matière de respect de la Terre-Mère, qu’on intégrera cette idée fondamentale que nous, les êtres vivants, sommes tous interreliés, je pense que là, nous pourrons nous dire que ça va bien aller.

Crédit photo: Karine Murphy