GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 18
Y’a des raisons de s’indigner qui, pour moi, sont factuelles. Les féminicides, les enfants autochtones fatalement maltraités et la culture du viol ne sont en rien assimilables à la tyrannie de la minorité. On parle ici, objectivement, de désastreux naufrages de l’humanité noircie par les jeux de pouvoir. Peu importe où on loge sur l’axe gauche-droite, je pense qu’on s’entend pas mal là-dessus. Parfois, à un mot près, mais bon…
Même quand on est d’accord sur le fond, c’est pas long que ça se met à déraper solide. On se met à tirer partout et le bruit devient ostentatoire: tout le monde pis sa mère se transforment en experts pour déterminer qui devrait aller rencontrer Guy A., avec quel fou, avec quels mots et à quelle date. Les besoins des victimes comme un pool d’hockey.
La polarisation, c’est le pain pis le beurre pis le gaz du web. De fait, les réseaux sociaux sont fondés sur l’engagement et la réaction. Y’a ainsi tout intérêt à appuyer sur les faiblesses émotionnelles humaines pour fertiliser sa propre visibilité numérique. L’échafaudage du web ainsi monté a favorisé dans les dernières années une radicalisation des discours.
On parle pas mal des wokes ces temps-ci. Ces fameux militants identitaires progressistes très vocaux qui réclament une plus grande justice sociale. A priori, on devrait célébrer cet engagement envers les minorités mais la façon dogmatique qu’ils ont de l’exprimer, telle une nouvelle religion civique, vient ternir l’effort. On utilise définitivement pas le bon cossin pour la bonne patente ou comme le dirait encore mieux Stéphane Lafleur, « nous avons l’outil, il manque la manière. ».
Tenter de sensibiliser une madame déjà fru en la traitant de grosse raciste colonne, c’est vraiment mal maîtriser les stratégies d’adhésion. Pour faire infléchir des idées sclérosées, ça prend de la bienveillance et de l’empathie, mais aussi beaucoup de patience. On dit encore « s’assir en indien »; pas la peine d’espérer que les pronoms non-binaires fassent partie du langage courant demain matin. En plus, on dit « s’asseoir ».
Ça fait des décennies que notre société tolère, voire encourage le racisme et le sexisme ordinaire dans ses médias. Ça ne fait malheureusement vraiment pas si longtemps que les jokes prévisibles de Brokeback Mountain et de menstruées hystériques ont perdu la cote. C’est très récent qu’il y a consensus sur l’idée qu’une agression, ça peut être pas mal plus subtil qu’un viol dans une ruelle. On ne peut pas s’attendre à éliminer tous les comportements problématiques encrassés depuis des générations en moins de temps que ça prend pour faire « chirer » une publication qui traite de vaccin.
Il reste encore un bon bout à faire sur le chemin de l’inclusion, de l’équité et de la justice mais comme on dit au curling, la ligne est bonne. Là, faudrait juste pogner le bon poids. C’est clairement pas avec la condescendance et l’intransigeance qu’on va avancer plus vite. Je m’explique mal qu’on puisse à la fois militer pour la diversité tout en moralisant les sujets dans une perspective binaire opposant le bien et le mal. Comment en est-on venu à avoir moins peur de traverser le Parc La Vérendrye en plein hiver que d’apporter un argument nuancé dans une discussion sur l’alimentation végane?
À mon avis, le meilleur move qu’on puisse faire en ce moment pour faire cheminer les grands enjeux sociaux dans l’ensemble de la société, c’est de pouvoir réhabiliter un dialogue ouvert, accessible et positif où on n’a pas toujours l’impression de marcher sur des oeufs sur de la glace mince.
Crédit photo: Maryse Boyce
Commentaires récents