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Application de dévalorisation massive

Édito publié le 2 novembre 2021

GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 19

La nature humaine étant ce qu’elle est, on a parfois besoin d’une lanceuse d’alerte pour nous indiquer qu’une entreprise à haute capacité boursière, plus puissante que certains États, n’est pas neutre. 

Eh oui, ça peut arriver qu’on ait besoin d’une grande scientifique des données pour nous faire réaliser qu’Instagram, une plateforme qui assaille des mères de 24 ans d’images de « mommy makeover », cette fameuse intervention qui regroupe abdominoplastie, liposuccion et redrapage mammaire, aurait potentiellement un effet pervers sur les femmes et leur image corporelle. 

De fait, Frances Haugen, ex-employée de Facebook, est venue récemment déclarer publiquement que son ancien employeur, qui travaillerait actuellement au développement d’une version « 13 ans et moins » d’Instagram, est bien au fait que sa plateforme originale exacerbe les troubles alimentaires, les complexes physiques, la dépression et parfois même les idées suicidaires chez un grand nombre de jeunes femmes.

Mon cynisme se demande, quant à lui, comment une organisation – qui mobilise le potentiel de certains des plus grands cerveaux du globe à augmenter délibérément l’engagement (terme un peu plus noble pour désigner la dépendance) en intervenant sur l’égo, le narcissisme, l’exhibitionnisme et l’anxiété de ratage – pourrait, peut-être, ne pas être au fait de son intrinsèque toxicité. 

Le modèle d’affaires des réseaux sociaux est basé sur les réactions-esclaves, fréquemment déclenchées par de candides notifications:
« C’est l’anniversaire de Michel-Olivier et Justine aujourd’hui. Contactez-les! »
« Mathieu a une nouvelle story. Quelle est votre réaction? »
« Lise a publié une vidéo que vous pourriez aimer: Fashionable nails ideas! »

Je le sais, c’est tout en subtilité et en délicatesse. C’est un peu aussi comme l’apparition de la pénurie de main-d’œuvre qu’on vit actuellement: on l’a pas vue venir… On n’a pas eu le temps de se préparer au vieillissement de la population suite à la récente DEUXIÈME GUERRE MONDIALE! 

Certains me trouvent peut-être un peu trop cinglante mais qu’existe-t-il de plus arrogant que d’œuvrer consciemment au développement d’un produit catalyseur de mal-être chez les enfants? N’est-ce pas de créer la tempête parfaite que de mettre entre les mains d’individus en construction d’identité un outil qui les place en constante comparaison avec leurs pairs?

Les réseaux sociaux incitent à la tyrannie de l’admiration. Considérant que des adultes solides et confiants en vivent les écueils, comment des êtres encore à l’âge où on peut se faire rejeter à cause de la marque de sa colle ou parce qu’on porte encore sa suit au mois d’mars peuvent vivre cela sainement?

On ne se contera pas d’histoires, si ce sont des images confrontantes qui gardent nos enfants plus longuement sur ses plateformes, c’est ce que Facebook leur proposera. Encore une fois, après l’industrie du sucre, de la panure, du plastique et des images animées hyperstimulantes, les parents devront se battre contre de nouveaux géants poussés par le vent extraordinairement puissant du capital.

Crédit photo: Marie-Claude Robert