GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 24
Comme passe-temps depuis 2 ans, je travaille sur un projet de maîtrise portant sur l’acceptabilité sociale des mines. J’aurais aussi pu me mettre au pickleball, me direz-vous. C’est que le sujet des externalités me fascine. En fait, il me percute pas mal plus qu’une balle de plastique perforé.
Chacun son affaire.
En gros, externaliser, ça veut dire: refiler à d’autres le fardeau de nos actions. Comme de fait, ceux qui contribuent davantage aux saisons incendiaires ne manquent jamais de clim. L’externalisation, c’est un concept aussi brillant que cynique, enchâssé à même l’esprit prédateur du capitalisme. Un sport auquel l’extractivisme a passé le round robin sans même se forcer.
Les grandes promesses de retombées agissent comme un phare pour guider le jugement collectif de ce qui est acceptable ou non socialement. Mais si nous avions l’ambition de repousser la barre de l’acceptable vers le désirable, peut-être pourrions-nous nous questionner aussi sur « qui en profite et qui en paie le prix ».
Entre 1990 et 2015, les pays du Sud global n’ont récupéré qu’un cinquième de la richesse issue de leurs propres ressources, pendant que les pays du Nord s’enrichissaient de dix mille milliards $ US par année. C’est comme l’histoire d’un Robin des bois « qui s’est choisi ».
C’t’histoire-là, la communauté scientifique la qualifie de « malédiction des ressources »; une relation perverse et contre-intuitive entre abondance naturelle et pauvreté économique. Ce piège repose sur des logiques coloniales et raciales bien ancrées, où certaines populations sont jugées secondaires et interchangeables. Comme quoi le droit d’exister est à géographie variable.
En Abitibi, on nous a dit que si on appliquait ici les mêmes normes de qualité de l’air qu’ailleurs au Québec, la Fonderie Horne mettrait la clé dans la porte et irait empoisonner des populations encore plus vulnérables. Et ce serait nous les coupables ! Je ne sais trop que faire de cette rhétorique de diversion… Ce que ça nous dit c’est que le problème, c’est pas de savoir que des gens, quelque part, se font empoisonner, c’est de savoir où le poison atterrit.
Visiblement, la colombe de la paix a du plomb dans l’aile.
On nous brode toutes sortes de récits pour nous faire accepter le sacrifice mais les dislocations environnementales et sociales ne sont pas que simple contretemps logistique. Comment en sommes-nous arrivés à exposer certaines populations à des risques disproportionnés, simplement pour satisfaire nos désirs ? On a besoin à ce point-là d’avoir du wi-fi dans l’autobus ? Ferions-nous face ici à un grave cas de narcissisme systémique ?
Pendant ce temps, sur une ligne parallèle, l’invivable – tranquillement mais sûrement – se mondialise. L’usure prépare les consentements. Mais ça reste encore superficiel: on s’achète d’la mayo du Québec, un t-shirt orange pis un livre d’Elise Gravel le 12 août et, une fois l’inconfort tranquillisé, on repart les canons à neige! L’euphorie de la grande solidarité ne dure jamais longtemps. En témoignera 2020.
Cette solidarité s’épuise non pas par manque de conviction mais par dépit. Heureusement, y’a Simon Larose qui chante: « Trop tard pour le meilleur des mondes, mais qu’en est-il d’un monde meilleur ? ». C’est une intéressante mais surtout atteignable perspective: faire mieux que le pire. Serions-nous rendus là, à souhaiter que l’herbe de notre voisin soit aussi verte que la nôtre? J’pense que oui. Ou du moins, j’espère que oui.
Je ne saurais dire par où les prendre mais je suis convaincue que les chemins plus justes existent. Ces chemins exigent de sortir du prêt-à-penser et de refuser les faux dilemmes qu’on nous sert en boucle. Ils demandent surtout qu’on cesse de croire que le progrès passe nécessairement par la destruction des autres et qu’on assume que l’égoïsme accentue les inégalités.
Et si cette fois, ce n’était pas encore aux mêmes à faire les douloureux compromis ?
Photo: Paul-Antoine Martel
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