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Une Tcigoji et le racisme

Édito publié le 28 mars 2022

GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 20

Je vais ouvrir cette prise de parole en reconnaissant mon imposture à frayer avec la question du racisme; Dans ma vie, j’ai subi très peu d’oppressions, à tout le moins consciemment. En sondant mes mémoires, le seul souvenir qui est remonté c’est la fois, où à l’Été en fête on m’avait demandé si j’m’étais fait « griller la face dans un scrigne ». Une missive en sérieuse chute de popularité qui visait dès lors les nez à l’épiderme rousselée et qui n’avait d’égal que sa pauvreté linguistique.

Bref, aussi bien dire que je ne connais rien du racisme. Rien de sa charge, ni de sa violence. La largeur de mes angles-morts me force à circonscrire mon intervention dans le cadre que je connais: celui du groupe majoritaire.

Du haut de nos privilèges, on a été élevés dans le racisme ordinaire; Celui qu’on minimise ou même qu’on ignore parce que dans notre mythologie, on se figure le racisme à la Ku Klux Klan. Toute notre vie, on s’est fait visser sournoisement des idées problématiques dans la tête à coups de p’tites jokes, de commentaires innocents et de légers sous-entendus. Dans notre télé, dans nos partys de famille, dans nos cours d’école.

C’est tellement internalisé, normalisé qu’on en devient aveugle au caractère systémique du racisme. Comment pourrait-il ne pas l’être, systémique? Comment un génocide culturel aurait-il pu se produire sous nos yeux autrement? « L’homme est un loup pour l’homme », chantait l’immense Karim.

Pour se défaire de nos idées préconçues, il faut tout d’abord en admettre l’existence. On « préjuge » les gens autour de nous, chaque jour, sur des futilités. Par exemple, juste à la face, je dirais que Paul-Antoine mange plus de beurre d’amande que Francis. C’est pas malveillant, notre cerveau est conçu de même: il classe l’information basée selon les données dont il dispose. Mais de temps en temps, ça vaut la peine d’aller faire une mise à jour, un nettoyage de notre filtre pour y distinguer les faits des préjugés.

C’est pas toujours clair si on loge dans le racisme, la discrimination, le néo-racisme ou dans l’ethnocentrisme. Ça fait beaucoup de concepts pour intellectualiser des douleurs et des ressentis. Et c’est le bout où on a l’air d’avoir de la misère: ne pas pouvoir tout classer dans des cases étanches. Malheureusement pour notre désir de simplicité, nul ne souffre ni ne guérit de la même façon.

Après la Commission Viens, on a été plusieurs à se crinquer… façon tcigoji (allochtones)… On veut des conférences dans toutes les écoles, des ateliers de perlage, des fêtes avec de la banique, de la sauge et une grosse batch de t-shirts oranges, svp! Je m’inclus complètement dans ce problème de positivité toxique, d’enthousiasme sucré qui peut laisser un goût amer à celleux qui subissent les oppressions et sur qui repose le fardeau de tout nous expliquer.

La vie actuelle est dangereuse pour un grand nombre de femmes racisées. J’ai entendu parlé récemment de certaines qui se font voler leur fertilité dans notre système de santé contemporain. Le racisme n’est pas une aberration qui appartient au passé. C’est un enjeu qui sévit en ce moment dans nos systèmes comme un virus en mutation.

En appréhendant le monde dans une perspective intersectionnelle, on constate qu’une avancée pour les plus privilégiés est rarement une avancée pour les groupes marginalisés. En revanche, le progrès qui vise les plus opprimés, lui, rejaillit sur tous. Je vais ainsi continuer à apprendre à être toujours une meilleure alliée, à manier diligemment les armes de la lutte, à attendre quand il faut. Pis, ben, j’m’excuse.

Crédit photo: Paul Brindamour