GE, TU, ELLES. L’éditorial de Geneviève Béland.
Quand pensez-vous? Épisode 23
La langue française compte environ 60 000 vocables. C’est pas tant que ça pour toutte dire.
Les mots peuvent même apparaître bêtement génériques devant l’entière singularité des expériences. Parfois vaut mieux faire le deuil de la mise en récit parfaite. D’ailleurs, à ce chapitre-là, je trouve qu’exiger ni plus ni moins que « des mots qui sonnent comme du Jackson », c’est exercer une pression pas pire ostentatoire sur autrui.
La liste des écueils potentiels en communication est bien noircie: ambiguïté sémantique, relativité linguistique, sensibilités, interprétations, partialité, ton, sarcasme. C’est facile de l’échapper, fak prendre le temps de s’exprimer avec justesse maintenant, c’est comme un p’tit CELI pour la suite.
Par exemple, pendant trop longtemps, on a laissé s’invisibiliser la notion de « droits » dans la nomination abrégée: « Journée de la femme ». Qu’est-ce que ça a fait? Ben aujourd’hui, notre 8 mars s’est transformé en genre de mash-up entre la fête des mères, la journée internationale des adjointes administratives pis une finale de miss. Mais quel droit bafoué un rabais sur une séance de photos boudoir n’a jamais réussi à soulager?
En l’absence de vocabulaire précis mais aussi commun, on peut aisément dire la même chose qu’une autre personne sans se comprendre. C’est facile de s’enfermer dans son jargon et s’adresser à l’autre comme un émissaire représentant sur terre, une galaxie très lointaine où prononcer le mot « systémique » tue des espèces.
Tristement, pour certains, jouer avec les mots et le vocabulaire pour faire réagir et diviser, c’est le grand dessein. Pour preuve, on a connu dans les dernières années, une grande mobilisation de personnes qui ont injecté tout le poids de leurs déceptions d’enfance dans le mot « woke ».
Cette opération a pu être menée à terme par l’application de cette glorieuse stratégie de relations publiques qui consiste à contaminer les esprits en répétant, comme des perdu.e.s, les mêmes expressions à la manière d’un mantra. Mais pas comme un mantra qui rappelle d’honorer sa créativité et que chaque expérience rapproche de la meilleure version de soi-même… Non, plus comme le silement d’une vieille hotte de poêle qui vire à max.
Main dans la main, élus et médias sont parvenus, grâce à leur acharnement, à incarcérer, dans un seul et unique mot, un sens qui permet de bûcher sur toutes ces vidanges préoccupées par les injustices et le bien-commun, sans avoir à formuler un seul argument. C’est une victoire sans précédent pour les nostalgiques du bon vieux temps où on pouvait se traiter de fifs: ils ont acquis une réserve de bois infinie pour crisser leur feu dedans.
Bien sûr qu’elles gossent les personnes qui s’offensent de ce qui existent à peine dans l’angle mort des minorités elles-mêmes pis qui veulent décoloniser les Colons de Catane. Je suis déjà allée dans un congrès de QS, j’en ai déjà vues.
Ça demeure toutefois des exceptions, des extrêmes qu’on généralise pour varger sur une génération complète qui a soif d’équité et permettre à des chroniqueurs de faire du clickbait échafaudé sur des anecdotes isolées.
On n’a tellement pas besoin de ça en ce moment, du détournement de mots. Déjà qu’on a ironiquement perdu le sens de la « liberté d’expression » au profit de sourds très vocaux. Visiblement, ce qu’on aurait vraiment besoin maintenant, c’est de se réapproprier la valeur du mot « dialogue » dans ce vaste monde où on se comprend plus.
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